Préférer voir l'Amour plutôt que la Mort

Préférer voir l'Amour plutôt que la Mort

Il pourrait bien neiger

Chapitre 1 – Il pourrait bien neiger

 

 

C'était l'instant de tous les dangers. L'hiver n'était pas loin. Des rumeurs de crise économique se profilaient à l'horizon. Nous étions tous les deux au chômage, mon frère Sébastien et moi. Habitué des forums informatiques, Sébastien avait contacté par mail un certain Cédric...

 

Quand j'ai vu arrivé cet énergumène dégingandé aux petites lunettes, je me suis dis : «  cet homme est un bon bougre, un intello maladroit, docile et gentil. De quoi va t-il nous parler de si important pour venir des Cévennes jusqu'à Toulouse ?

Je n'oublierai jamais sa tête s'illuminant quand il nous dit : « les Dieux et les Déesses existent : je les ai vus ».

Il y eut un instant figé, comme vaporeux. Puis je repris mes esprits et j'ai pensé : « cet homme a démissionné de son emploi d'informaticien : on sait bien que l'informatique a quelque effet délétère sur les esprits les plus faibles ». Mais j'ai vite réalisé que cet homme, grand et maigre, au visage émacié à la physionomie d'un juif errant, de pâtre grec, était fort de caractère à en être inquiétant...

 

Tandis que nous étions attablés à notre salon, il nous inondait de son enthousiasme : « J'ai vu la Déesse Mère mes amis, la Déesse Mère en chair et en os ! Elle est géniale, vous verrez. Si vous la rencontrez, elle ressemble un peu à une sorcière mais je sais qu'elle dit des choses vraies. Elle m'a soumis des faits sérieusement soupesés à l'aune de mon indéfectible validation. Vous pouvez avoir confiance, je suis un surdoué, certes incompris, comme tous les surdoués. »

Il valida cette affirmation péremptoire en se lissant sa maigre barbiche hirsute. Il nous regardait, se taisant ostensiblement, comme pour attendre une objection à laquelle il était sûr de pouvoir répondre, fort de son intelligence supérieure. Mais nous, imperturbables, écoutions patiemment comme un médecin examine un malade pour livrer son diagnostic. Facile ! Direz-vous, « cet homme est fou ». C'était trop facile peut-être, trop incroyable de le voir exposer sans pudeur, sans prévenir, la violence de sa folie pour y croire vraiment. Cette violence pourrait bien être celle d'un nouveau paradigme déchirant le voile de notre conscience obscurcie, telle l'explosion de forces subconscientes cachées au fond de notre être : Les Dieux et les Déesses existaient-elles vraiment, s'incarnant comme l'avaient fait la déesse Athéna, le dieu Apollon pendant la guerre de Troie ou le Dieu Quetzacoatl au Mexique ?

Nous en étions là en cette fin d'après-midi d'automne, près des quais de la Garonne.

« ...cet hiver, il pourrait bien neiger très fort sur l'Europe, la Russie, l'Amérique du Nord. Après ou juste avant, une crise économique terrible secouera le monde entier ». Validant sa sentence prophétique digne d'un Jérémie, il nous fit bien d'autres confidences en forme de lamentations :

« Vous verrez, il faut se préparer, l'hiver sera polaire ! Toutes les murailles de la civilisation que sont la raison et l'intelligence, s'écrouleront sur leur fondation ! J'ai fait des provisions pour l'hiver, j'ai coupé et fendu du bois pour moi et quelques voisins du Vigan. J'ai acheté des vêtements chauds et j'ai tout l'équipement de survie. C'est génial ! Yatchaaaaaah ! »

L'onomatopé Yatchaah ne me semblant pas provenir du patois cévénol, je haussai les sourcils, dubitatif et surpris de la créativité de langage que pouvait avoir un informaticien ayant rejoint les bois depuis si peu de temps...

Quand il partît enfin, après nous être donné mutuellement la promesse de nous revoir bientôt, nous nous renseignâmes au sujet des Dieux de la mythologie sumérienne, égyptienne, grecque, romaine.

 

Quelque temps plus tard :

« Allo, c'est Cédric, j'ai parlé de vous à la Déesse Mère et le Dieu Horos. Ils désirent vous voir. Ils souhaitent emménager pour Janvier à une maison parmi celles que j'ai rénovées. Si vous voulez, je vous loue le rez-de-chaussée de cette maison. Ainsi, les Dieux logeront à l'appartement du dessus».

_ Pourquoi pas mais...oui... il nous faudrait réfléchir.

En raccrochant , j'étais bien sûr très inquiet des conséquences que pouvait avoir notre réponse. Cependant, quelque chose bouillait en moi de partir à l'aventure, tout englués que nous étions dans la misère morale et matérielle, chômeurs à la dérive dans une ville de banlieue toulousaine.

 

 

Le mois suivant, nous étions en Décembre. Nous chargeâmes les derniers cartons dans notre nouvel appartement...en plein milieu des bois dans les Cévennes, près du Vigan. Ce soir là, les fantômes des camisards semblaient rôder : le vent gémissait dans les sapins noirs, sombres géants mythiques. Ils nous soufflaient de noirs secrets sortant des profondeurs de la terre, tourmentés par la justice du ciel.

Justement, selon Cédric, le Dieu An ou le Dieu du Ciel avait chargé le Dieu Horos d'une mission : sauver les « justes », aidé de Lucifer aussi appelée la Déesse Mère, Mère dévoreuse de ses enfants à travers les âges remontant aux origine de l'Homme. Dieu Horos et Déesse Lucifer devaient nous entremettre le lendemain... Notre envie d'aventure l'emporta sur la peur : nous n'avions plus rien à perdre...si ce n'était notre âme... Mais déjà mortes, nos âmes ne pouvaient que se réchauffer aux lueurs des frontières de la réalité.

 

A quoi pouvaient bien ressembler des Dieux ? Nous étions, mon frère et moi, hantés par ces images que nous nous faisions de leur physionomie, riant en même temps en nous-même comme pour défier l'affront lancé à notre propre raison. Mais l'hiver s'annonçait rude et il pourrait bien neiger d'ici demain : il était improbable qu'ils puissent se rendre jusqu'ici : un chemin vicinal raviné par les fortes pluies cévénoles de trois kilomètres traversait une forêt de châtaigners.

Nous habitions une maison de chasseur parmi les trois posées en pleine forêt descendant jusqu'à la rivière. Nous devinions que des forces étrangères se préparaient à sourdre des failles de notre propre conscience. Notre monde lisse et froid pourrait bien s'effriter et révéler de terribles secrets, brûlants des entrailles de la Terre.

 

Nous étions cinq : Cédric, mon frère, moi, Dieu Horos et Déesse Lucifer, réunis dans la maison de Cédric en cette soirée nocturne de fin d'automne.

_ Vous voyez, il ne neige pas, les arbres sont morts mais il ne neige pas dit Dieu Horos, brisant la glace.

_ Oui, mais il pourrait neiger. Regardez, le ciel est blanc et bas, répliqua Cédric d'un sourire poli.

Le pendule de l'horloge comtoise, ponctuée de petits trous d'insectes xylophages, semblait comme sur le point de cesser de se balancer. Le temps même était comme suspendu par un fil à plomb au ciel couleur d'argent. Mais non, le temps, telle une rivière inépuisable, suivait bien son cours en s'infiltrant dans les terres friables de notre raison à moitié submergée. Telles nos pensées dans notre cerveau, la belette de Cédric s'agitait dans sa cage en poussant de petits cris aigrelets.

_ Si l'homme ne change pas et n'est pas conforme aux lois universelles, alors les Dieux feront de la Terre, une planète gelée, inhabitée. Seuls les élus, les justes, seront sauvés. C'est la raison de notre présence sur Terre parmi vous dit Lucifer très simplement.

Lucifer ressemblait à une sorcière. Mais ses yeux vifs, mobiles tournaient parfois comme des billes et brillaient d'une lumière étrangère à ce monde. Dans l'obscurité, sa peau semblait allumée d'un teint olivâtre et gris. Horos, tel un roc posé sur son siège, comme immobile depuis des millions d'années, imperturbable, les bras croisés, sondait la pièce et ses occupants. Vieillard certes encore alerte, plein de force, ses yeux étaient presque enterrés dans de profondes orbites soulignées par d'épais sourcils. Tel un prophète antique et terrible, il semblait garder en lui-même les règles d'un protocole connu de lui seul.

_ Nous sommes sur Terre grâce à nos corps de descente.

Le visage d'Horos était ferme et résolu comme un Abraham Lincoln à une tribune présidentielle.

_Les lointaines civilisations de l'Hyperborée et de l'Atlantide ont laissé des traces de construction dans les Pyrénées. Les pics de montagne des Hautes-Pyrénées sont d'anciens vestiges de pyramides érodées par le temps, sculptées grâce à la technologie du son dit Horos, formant avec les gestes de ses mains une pyramide imaginaire.

Nous écoutions, fascinés, l'exposé de cette science inconnue. Les informations venaient nous heurter comme des flashs éblouissant notre vue.

_ Le vortex spatio-temporel est celui de Hua Shan en Chine, ce complexe dans lequel les atlantes rescapés de la Glaciation iront connaître l'horizon des Sommets du Soleil.

C'était un langage incompréhensible mais poétique, presque une louange venant de temps anciens, à quelques mystérieuses Cités d'or équipées de technologies du futur.

_...sachant que dans tous les cas, la naissance attendue est la sublimation de cette conscience de l'atome nucléaire d'uranium devenant Homme capable de Rayonnement.

« Vortex », « réduction d'espace-temps », « angles de la conscience », tout était trouble mais nous voulions comprendre.

_ Si j'ai bien compris, ...commença Cédric quand soudain, on toqua à la fenêtre. Ombres menaçantes dansantes dessinant en ombre chinoise, des tentacules monstrueuses.

On toqua. A nouveau, on frappa, on cognât cette vitre sombre, refroidie par le vent, glacial.

Un vent ombrageux rugit, violent, rompant le silence blanc, bousculant les branches des arbres de la forêt.

A moitié assis sur mon fauteuil, mon cœur sembla vouloir s'enfuir de ma poitrine, un frisson de peur panique m'envahit, regardant Cédric, Sébastien et les Dieux semblant tout droit venir du gouffre de l'enfer ( c'était peut-être effectivement le cas).

Comme pour m'agripper à quelque objet connu pour éviter de couler dans une mer d'angoisse, je fixai machinalement mon regard sur la boîte d'allumette posée devant moi sur la table. Il y était inscrit : «  Lucifer »... Mais je me souvint qu'en néerlandais, Lucifer signifiait allumette. Je brûlai maintenant d'un feu glacé dans tout mon être. Je réalisai enfin que l'ange déchu Lucifer, puni pour avoir osé défier Dieu, était devant moi, devant nous, petits hommes, dans une maisonnette isolée, inondée de nuit... Et à la fenêtre, on toque ! Qui est-ce ? A cette heure-ci ! Minuit moins cinq ? Un marcheur égaré sans doute...

Horos ouvrit la fenêtre et là soudain, il souffla sur nos têtes une bourrasque glacée de flocons.

_C'est la tempête de neige dehors ! Une branche de l'arbre de la cour tapait sur le carreau.

Je me sentit bête mais soulagé...et refroidi.

_Où en étions-nous ? Oui çà y est... les angles de la conscience disions-nous...

Tout à coup, le téléphone sonna. Il était minuit. Hardi et calme à la fois, Cédric décrocha.

_Oui, bonsoir... oui, d'accord, oui,oui bien sûr...je leur ferai la commission, bonne soirée Madame.

_ Qui était-ce ? demanda Horos

_ C'était Elise, une dame que vous connaissez, elle vous salue et me dit de vous dire que la salamandre est dans son vivarium, qu'elle a bien reçue le colis contenant la nourriture pour elle.

_C'est bien répondit Horos. Nous irons peut-être la visiter le mois prochain à Couiza dans l'Aude.

Elise est quelqu'un de tov, de bien.

_ Oui, oui, c'est une femme qui dégage une vraie féminité comme les déesses de nos mondes qui ne sont pas des femmes travesties comme le sont les terriennes, renchérit Lucifer.

_Il nous faut quand même revenir à notre discussion à propos des angles de la conscience à moins que vous vouliez faire une petite pause dit Horos en ouvrant les bras comme pour suggérer à la petite assemblée de se lever de table.

Nous bûmes tous un chocolat chaud plus pour calmer nos émotions contradictoires que pour nous réchauffer. Nos pensées s'entremêlaient telles des fumées virevoltant et assujetties aux orientations d'un vent fou. Etait-ce vrai ce qu'ils disaient ? Etions-nous vraiment en train de discuter avec Lucifer ? Seul l'avenir semblait pouvoir nous le dire. Je misais sur la patience et l'étude de ces « cas spéciaux » tel un anthropologue étudiant quelque tribu d'Amazonie avec leur rites ancestraux propres à léguer l'héritage d'une connaissance primordiale et transhumaine.

 

 

 

Chapitre 2 – La salamandre est dans son vivarium

 

La forêt en miniature s'exposait à nos yeux de géant. La salamandre évoluait dans son univers de simili-forêt. Elle nous observait autant qu'on l'observait. Son camouflage, dans ce paysage-bulle lui était inutile. Elle se faufila parmi les feuilles de chêne pour se loger dans un tronc de liège creux. Là, elle attendit sa proie : un lombric. Elle s'empressa de le mordre avec ses mâchoires d'amphibien vorace guidé par le devoir instinctif et fatal de se nourrir, à tout prix : destin commun à tous les animaux y compris les hommes sous peine de mourir. Je fit cette pensée : les hommes, animaux rampant dans leur vivarium qu'est la Terre, tentaient d'être debout pour voir en dehors du bocal, pour voir si l'ombre de la nuit n'était pas un danger, pour voir si la lumière du jour était bien leur salut. Mais penser ainsi aurait été une erreur. Car la lumière du jour ne cache que les ténèbres. La lumière et la nuit du monde se répondent sans jamais de fin telle une ampoule qu'on allume et qu'on éteint. Nous sommes bien trop petits pour atteindre l'interrupteur de l'univers...

Il y avait quelque chose de profondément touchant à voir cette salamandre se prendre au jeu du décor de la forêt, à croire en l'illusion. Elle avait oublié que ses ancêtres provenaient d'une vrai forêt, idoine à son épanouissement ultime. Comme l'homme, ses origines remontaient à son lointain paradis perdu : une forêt obscure et épaisse où pointait quelque lumière des feux du soleil dont elle semblait porter les brûlures sur son dos noir, gant de latex rempli de liquide éclaboussé d'acide.

Tandis que je menais ces observations sur la métaphysique de la salamandre, une odeur de brûlé flirta mes narines.

_Oh mais c'est pas vrai, j'ai tout fait cramé ! S'exclama Elise.

_ C'est une seule crêpe que tu as râtée, rien de grave, rien de grave tenta de consoler Horos.

_ Oui mais c'est la Chandeleur aujourd'hui et je dois vous faire honneur !

_ La Chandeleur est une tradition venant de croyances humaines. Or, nous ne croyons pas puisque nous sommes des dieux dit Horos avec un ton de voix voilant une réprobation. Mais vouloir honorer les dieux, voilà qui est tov. C'est bien, dit-il en posant sa main sur l'épaule d'Elise pour amenuiser sa peine.

_Nous, en tant que dieux sommes sensibles à toute forme de protocole quand elle est tov, c'est à dire bien, conforme aux hiérarchies des trônes de l'Espace.

_Je comprends, je comprends dit Elise qui...ne comprend pas tout.

 

A suivre...

 

 

 

 

 

 



21/06/2018
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